Lettre ouverte au cardinal Barbarin
Monsieur le Cardinal,
Permettez-moi de me présenter, afin que vous sachiez qui s’adresse à vous. Je suis actuellement en formation dans un collège rabbinique londonien, le Leo Baeck College, où j’ai été accepté en ne cachant pas mon homosexualité. Il y a, au Royaume-Uni, une vingtaine de rabbins gays et lesbiennes, mais je serai, lors de mon retour en France, le premier rabbin ouvertement gay, et c’est à titre privé pour l’instant que je vous écris. Je n’ai pas l’intention d’être un militant de la cause LGBT. Mon intention est simplement de pouvoir vivre en accord avec ce que je suis. Nous vivons dans une société qui protège l’individu dans toutes ses différences, et qui préserve aussi le droit d’exprimer ses propres opinions. Ce que vous avez fait, et qui est votre plein droit. Mais il est aussi de mon plein droit d’apporter une voix qui peut sembler discordante de la part d’un responsable religieux, une voix qui affirme que l’homosexualité n’est pas une maladie, ni une déviance, qu’elle fait partie de la nature humaine depuis que les humains sont humains, et que l’interdit biblique qui lui est souvent opposé doit être repensé, comme cela a été fait en ce qui concerne la loi qui permet de lapider le fils rebelle ou la femme adultère, ou encore de vendre sa fille esclavage. J’ai vécu plus de vingt ans avec une femme à qui je n’ai jamais caché mon orientation sexuelle. Nous avons eu deux merveilleuses filles, qui sont maintenant dans leur vingtaine, qui sont étudiantes, qui rayonnent, et qui ne sont pas devenues lesbiennes pour autant. La base de notre famille a toujours été l’amour et le respect, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas dans les familles dites « normales ». Un jour, il nous a fallu admettre que nous devions prendre des chemins différents. Nous avons chacun rencontré un partenaire, et tous les quatre, nous sommes devenus amis. Je vous rassure, il n’est pas question que nous demandions l’accès au mariage à quatre. Voyez-vous, M. le Cardinal, les gays et les lesbiennes sont des gens comme les autres, et non les animaux pervers que vous décrivez. Savez-vous, M. le Cardinal, que deux personnes de même sexe peuvent s’aimer ? Eh oui, l’Éternel nous a aussi offert cette capacité. Savez-vous, M. le Cardinal, que deux personnes de même sexe peuvent créer une relation de couple stable et solide ? Je suis pour ma part très heureux avec mon partenaire qui est un homme extraordinaire, un artiste de talent, qui apporte de la beauté dans ce monde. Derrière cette opposition au mariage gay et lesbien, il y a une condamnation sans appel de cette orientation partagée par environ 5 à 10% des êtres humains de chaque génération. Les religions ont toujours voulu régenter ce qui se passe dans l’intimité des draps de leurs fidèles. Elles sont le reflet d’un discours masculin qui veut tout contrôler. C’est pour cela que les femmes, avec leur sexualité étrange et inquiétante pour les hommes, ont été pendant des siècles considérées par la plupart des traditions religieuses comme des inférieures, ou des mineures. C’est pour cela aussi que les gays, qui mettent en péril le rôle supposé traditionnel du mâle, ont été pendant des siècles persécutés. Quant aux lesbiennes, en tant que femmes, elles sont hors catégorie !Je souhaite de tous mes vœux que cette loi sur l’égalité de l’accès au mariage soit votée en octobre prochain. Comme vous l’avez bien dit, elle permettra aux couples de même sexe de bénéficier de ce « rempart » qu’est le mariage en offrant la protection aux personnes qui ont un projet de vie ensemble Cette loi n’ébranlera pas les fondements de la société. Elle permettra juste à des personnes appartenant à une minorité d’obtenir des droits identiques à ceux de la majorité. J’ai parfois l’impression d’entendre des discours d’un autre temps. Le monde évolue, et en tant qu’autorité religieuse, vous avez le choix entre vous arc-bouter sur des conceptions passées, ou au contraire accompagner ces changements et attester de l’amour continu que Dieu témoigne envers ses créatures. Dimanche soir, nous entrerons dans la période des Jours Terribles avec Rosh Hashana. Je voudrais citer les paroles d’un sage du Hassidisme, Rabbi Zousya. Près de la fin de sa vie, il prononça ces paroles : « Dans le monde qui vient, la question qu’on va me poser, ce n’est pas : Pourquoi n’as-tu pas été Moïse ? Non, la question qu’on va me poser c’est : Pourquoi n’as-tu pas été Zousya ? ». Ce que la Tradition juive nous demande, c’est d’être honnête avec soi-même, bon avec son prochain, faire preuve de respect pour tous, et surtout ne pas juger son prochain avant d’avoir été à sa place.
René PfertzelÉtudiant rabbinLeo Baeck CollegeLondresRoyaume-Uni