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Le blog de René - Elie
21 février 2012

Yom Kippour 5772 à Lyon

Kol Nidre 5772

UJLL/CJL

 

Il y a quelques semaines, j’ai animé un office de shabbat dans une petite communauté libérale à l’ouest de Londres, Reading. Comme nous étions alors en plein mois d’Eloul, je leur ai demandés comment ils se préparaient pour les Yamim Noraim, et plus particulièrement, comment ils abordaient le jour de Kippour. Deux personnes ont pris la parole, et chacune d’entre a fait part d’un sentiment très différent. Pour l’une d’entre elles, Kippour est un moment très dérangeant. Elle est fortement impliquée dans des actes de justice sociale, elle essaye de faire de son mieux pour avoir des relations pacifiées avec son entourage et de répandre la concorde autour d’elle. Elle ne voit pas pourquoi à Kippour on lui : Eh bien, tu vois, malgré tous tes efforts, tu n’en fais pas assez. L’autre personne répondit qu’au contraire, elle prenait ce jour de Kippour pour elle-même, très égoïstement, pendant 25 heures, elle se penche sur ses actions, elle prend ce temps pour faire le point et voir comment elle peut envisager l’année à venir.

 

Je dois dire que l’une et l’autre m’ont impressionné par la force de leur conviction, et je dois bien dire aussi que toutes les deux ont raison ! Ou plutôt, que leurs remarques ont fait écho à l’inconfort que je ressens chaque année en abordant cette période.

Elles m’ont aussi aidé à me poser les questions différemment, et je voudrais partager avec vous ce soir quelques unes des réflexions que leurs paroles ont suscitées en moi.

 

Nul ne peut allonger la durée de ses jours par quelques manières que ce soit, car cela ne dépend pas de nous. Par contre, notre responsabilité est de donner du sens à ce que nous faisons.

En disant cela, je pense tout particulièrement à ceux que l’on appelle, parfois avec une pointe de mépris, les Juifs de Kippour, celles et ceux qui nous rejoignent uniquement à l’occasion de ce jour solennel, parfois aussi lors du seder de Pessah. Même si quelqu’un ne se sent pas proche de la communauté, il est intéressant de constater que nos rangs ce soir, et peut-être encore plus demain soir, sont serrés, que beaucoup de visages peu connus, voire inconnus, sont à nos côtés. Et je m’en réjouis. Je m’en réjouis d’autant plus car ces Juifs de Kippour ont saisi le sens véritable du mot « techouva », qui est au cœur de notre liturgie des Grandes Fêtes. Une fois par an, leur âme juive s’anime et leur enjoint de rejoindre la synagogue. Chacun a ses propres motivations, qui par tradition familiale, qui par souci de garder un lien, même ténu, avec ses propres racines.

Bien sûr, on aimerait que notre synagogue soit pleine ainsi à chaque shabbat, qui, je vous le rappelle, est plus important que Yom Kippour selon notre Tradition. Mais la communauté reste pour eux comme un repère plus ou moins lointain dans leur propre existence, et ils savent qu’elle est là pour eux. Je pense qu’il est dommage de n’avoir comme relation avec le peuple juif que ce moment-là, qui est certainement le plus solennel, le moins joyeux, alors que notre tradition nous offre tant de moments essentiels et festifs pour nourrir notre âme juive. Mais je suis, et je serai toute ma vie, un farouche partisan de la liberté individuelle, et si quelqu’un veut chercher du sens dans sa vie en puisant dans le merveilleux héritage légué par nos pères, je serai là.

 

Peut-être aussi que nous n’arrivons pas toujours à offrir à nos sœurs et nos frères juifs suffisamment de sens pour nourrir leur vie spirituelle. C’est pourquoi, ce soir,  je vous propose quelques pistes de réflexion, quelques éléments pour vous nourrir, spirituellement, bien sûr, puisque nous sommes dans une période de jeûne. D’ailleurs, la communauté libérale de Lyon est peut-être plus une communauté de chercheurs de sens, d’étudiants de la tradition, que de contemplatifs, d’orants.

 

Cela m’amène au premier point que je voudrais soumettre à votre réflexion personnelle. La liturgie de Kippour est longue, de milliers de mots sont prononcés, répétés, et parfois on en perd le fil. Quelle est véritablement l’utilité de toutes ces prières ?

Certes, certaines d’entre elles ont un impact esthétique réel, sont des classiques de la liturgie juive, comme le Kol Nidré par exemple. Tiens, parlons-en un peu de cette prière qui inaugure la série des cinq offices de Kippour.

 

Tous les vœux, les interdits individuels ou collectifs, les serments, les promesses et les engagements formulés ou contractés à compter de ce Yom Kippour jusqu’au prochain Yom Kippour, nous les rétractons. Qu’ils soient considérés sans valeur et non avenus puisque nous ne sommes pas assurés de pouvoir les accomplir. Que nos vœux ne soient plus des vœux, que nos engagements ne soient plus des engagements, que nos serments ne soient plus des serments.

 

Vous aurez bien compris que ce texte est un moyen de remettre les compteurs à zéro, de repartir sur de nouvelles bases, et de réfléchir à nos engagements futurs en évitant autant que possible de promettre ce que l’on ne pourra pas tenir. Mais dans sa formulation, il s’agit d’un texte à caractère juridique, composé à la fois en hébreu et en araméen, et il reflète avant tout le langage rabbinique. Où est Dieu là-dedans ?  Est-ce réellement une prière ? Et nos ennemis l’ont utilisé pour dire : regardez, vous ne pouvez pas faire confiance aux Juifs, puisqu’à chaque Yom Kippour, ils annulent tous les vœux et les serments. Et pourtant, si l’on ne devait retenir qu’une pièce de la liturgie de Yom Kippour, ce serait ce texte. Il a une mélodie particulière, c’est une vraie pièce de hazzanout qui permet au cantor de montrer le meilleur de lui-même. Mais vous conviendrez avec moi qu’il y a un grand décalage entre le contenu manifeste du Kol Nidré et son impact émotionnel.

 

Pourquoi ?

 

Peut-être qu’au fond, Dieu n’a pas besoin de nos prières. Si l’on affirme d’un côté que Dieu est omniscient et qu’il voit les événements avant qu’ils n’arrivent, si l’on pense que Dieu nous connaît mieux que nous-mêmes, à quoi cela sert-il de le prier ? Pourquoi passer des heures à a synagogue à implorer, pleurer, s’épuiser par le jeûne si tout est déjà écrit ?

 

J’en suis arrivé à penser que la prière nous concerne nous avant tout. Elle agit un peu comme un miroir de nos craintes et de nos espoirs, comme la manière de faire remonter à la conscience ce qui est juste sous la surface. La prière nous aide à nous dire nous-mêmes. En outre, dans sa dimension communautaire, la prière agit comme un langage commun, elle nous offre des repères, des symboles, des événements de notre passé qui nous constitue en tant que groupe humain. La Haggada de Pessah est notre héritage commun ; à Hanoukka, nous nous souvenons comment nos courageux ancêtres ont résisté à ceux qui voulaient détruire leurs âmes. A Kippour, nous rappelons le sacrifice qui était offert lors du jour de Kippour par le Grand-Prêtre dans le Temple de Jérusalem, car cela aussi est notre héritage commun.

 

Alors, me direz-vous, et Dieu dans tout cela ? Vous connaissez tous l’aphorisme célèbre de Woody Allen que j’aime rappeler parfois : Dieu n’existe pas, et nous sommes son peuple élu. Voilà toute l’ambivalence de notre relation avec Dieu. Est-il nécessaire de croire en l’existence Dieu pour être Juif ? Je serais tenté de dire oui, dans ce sens où Dieu est présent dans la constitution de notre identité ; il était présent à toutes les étapes importantes de notre histoire ; c’est un personnage essentiel de la saga du peuple juif. Mais il n’apparaît pas dans le Livre d’Esther. Et où était-il lorsque nous étions gazés, brûlés dans les camps d’extermination, ou exécutés dans les plaines d’Ukraine et de Russie ? Voilà un questionnement qui me paraît légitime au plus haut point. Et qui ne connaît pas de réponse. Alors, est-il nécessaire de croire en Dieu pour être Juif ? Je ne le pense pas. Et, je vous le rappelle, nulle part la Bible ne requiert la croyance. Elle enjoint simplement d’agir dans un certain sens. Pour moi, bien sûr, qui me destine au rabbinat, Dieu fait partie de mon parcours spirituel, et j’aurais vraiment l’impression d’être en décalage avec mes choix de vie si ce n’était pas le cas. Et un rabbin athée pourrait se trouver en porte-à-faux avec ce qui nourrit son existence. Et pourtant, il existe aux États-Unis un petit mouvement juif appelé « Humaniste et Laïque » qui forme des rabbins athées, qui a produit un siddour sans mentionner une seule fois le nom de Dieu. Et même si cela me paraît étrange, je pense qu’il s’agit là d’une réponse profondément juive à la question de savoir quelle place Dieu tient-il dans notre vie.

Parfois je ne le comprends pas. Certaines de ses paroles dans la Torah me choquent profondément. Parfois même je suis en colère contre lui, comme par exemple à une période de l’année qui vient de s’écouler pendant laquelle une de nos familles a été profondément meurtrie. Je me débats aussi dans mes propres contradictions. Parfois je n’arrive pas à lui parler. A d’autres moments, trop rares, je me sens en paix et je tiens à la partager avec lui.

Mais ce qui me permet d’atteindre ces petits mots de paix intérieure, c’est la compréhension profonde qu’il nous a été fait don de la vie, de la liberté qui va avec, de la liberté de choisir la façon dont nous menons nos existences. Je sais qu’il est toujours là, à attendre que je puisse lui parler, à écouter mes prières par lesquelles j’exprime mes espoirs et mes désespoirs.

 

Une histoire hassidique. Un jour, un homme s’adresse à Dieu et lui dit : O Maître du Monde, comment puis-je croire en toi alors que je ne te vois pas ? Dieu lui répond alors : regarde la neige que tu foules, les pas que tu vois à côté de toi, ce sont les miens. Étonné, l’homme regarde et ne voit qu’une seule trace de pas, et dit : mais de quoi tu parles ? Je ne vois que la trace de mes pieds. Dieu lui répond alors : non, ce ne sont pas les tiens. Ces traces que tu vois, ce sont les miennes, parce que je te porte sur mes épaules.

 

J’aimerais, comme cette dame qui a pris la parole lors de l’office de shabbat en Angleterre, que nous nous sentions libérés à Kippour, et non remplis de culpabilité. Tout cela a été écrit pour que nous y trouvions du sens. Si, durant le jeûne, vous vous sentez mal parce que vous êtes en hypoglycémie, eh bien, buvez un verre, mangez un bout de pain. Le jeûne n’est qu’un outil, pas une fin en soi. Il n’y a aucune raison de tomber malade le jour de Kippour. Si, pendant les prières où vous devez être debout, vous vous sentez fatigués, eh bien, asseyez-vous. Pourquoi perdre connaissance lors du jour de Kippour qui a justement été institué pour vous ?

Ce que je vous dis là n’est pas le fruit de la théologie radicale d’un étudiant rabbin. C’est au cœur de la pensée prophétique, telle que le prophète Isaïe l’a exprimé il y a bientôt trente siècles :

 

Qu’ai-je à faire de la multitude de vos sacrifices, dit l’Éternel ? Je suis rassasié des sacrifices… Cessez d’apporter des offrandes inutiles… Apprenez à faire le bien, cherchez l’équité, redressez l’oppresseur, rendez justice à l’orphelin, défendez la veuve. Venez, je vous prie, et argumentons. (Is. 1 :11 ; 13 ; 17-18)

 

Que tous vos actes aient un sens. Que cette journée de Kippour vous apporte de la force, de la paix intérieure, un renouvellement de vos vies. Et que le jeûne vous soit léger.

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